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Centre d'histoire des sociétés, des sciences et des conflits

Individus, familles et sociétés aux époques modernes et contemporaines

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Cet axe de recherche porte sur l’individu engagé dans ses relations avec les groupes auxquels il appartient et avec les diverses instances de pouvoir, à différentes échelles de la société : tout particulièrement la parenté, la communauté (religieuse, villageoise ou citadine, clientélaire), le corps politique (l’État, les institutions locales de gouvernement, les institutions militaires et diplomatiques). Une attention particulière est également accordée à la dimension spatiale de la société et à la dimension sociale de l’espace. Les projets s’appuient sur une très grande variété typologique de sources et d’approches et prennent en compte à la fois les réalités, les pratiques et les représentations. Les travaux passés et en cours conduisent à des partenariats privilégiés avec certains établissements locaux tels le Musée de Picardie, la Bibliothèque municipale d’Amiens et les Archives départementales de la Somme, ainsi qu’avec des institutions nationales comme l’Académie nationale de médecine.

Individus : corps et sensibilités

Une première perspective, qui prolonge les problématiques médicales de l’axe 1, place l’individu et son corps dans un tissu d’interactions solidaires ou contraignantes. Elle interroge, tout d’abord, la manière dont l’individu se dit et se représente, notamment à travers les écrits du for privé ou l’iconographie. Le corps et ses dimensions socio-culturelles sont envisagés par le biais d’enquêtes sur le handicap, l’enfance, le sport ou les cultures alimentaires.
Un premier projet associe Audrey Duru (TrAme), Scarlett Beauvalet, Emmanuelle Berthiaud et Hervé Bennezon sur l’histoire du handicap et de la déficience sensorielle à l’époque moderne. Lauréate des appels à projet du CPER « Anamorphose », cette recherche s’attache, en premier lieu, à étudier le cas de l’abbaye Saint-Jean d’Amiens, qui a accueilli des pensionnaires sourds-muets au début du XVIIIe siècle, notamment Étienne de Fay, dessinateur du cabinet de curiosités de l’abbaye. Une journée d’étude pluridisciplinaire intitulée Expériences sourdes, de l’abbaye Saint-Jean d’Amiens au domaine français (XVe-XVIIIe siècles) s’est tenue au Musée de Picardie le 16 novembre 2023 afin de scruter les traces et les archives de la surdité à Amiens, mais aussi à l’échelle nationale et sous différents angles (religion, droit, littérature). La richesse de la documentation existante et les pistes de réflexion soulevées permettent d’envisager une publication des actes dans un numéro de la Revue du Nord en 2025 et un prolongement de la recherche dans le cadre d’un projet émergent MESHS GESTES : Généalogie des Expériences Sourdes et entendantes (fin du XVe siècle - XVIIIe siècle, domaine français). Il prévoit la constitution d’une base HEURIST collaborative, un colloque et une exposition à la Bibliothèque municipale d’Amiens en 2025.
En lien étroit avec l’axe 1, le projet de recherche d’Emmanuelle Berthiaud propose d’étudier l’histoire du corps, de la santé et de la médecine des enfants, sous l’angle des pratiques et des savoirs médicaux, mais aussi des vécus enfantins, de la Renaissance à l’invention de la pédiatrie dans le dernier tiers du XIXe siècle. Un premier volet de cette enquête, exploré à l'occasion d'un colloque, suivi d’une publication en 2021, est consacré aux sens et à la sensibilité enfantine, en particulier à la question de la douleur du tout-petit et de sa prise en charge par les médecins depuis le XVIe siècle. Le sujet constitue, en effet, un observatoire commode pour analyser la manière dont les sociétés considèrent le jeune enfant et pensent la façon dont s’éveillent les sens, l’individualité et la conscience de soi.
Les sensibilités sont également l’objet du travail de Clémentine Vidal-Naquet, qui a cofondé en 2016 et codirige depuis, la revue interdisciplinaire Sensibilités. Histoire, critique & sciences sociales. Les thématiques développées (émotions et neurosciences, corps au paroxysme, intime, relation à la mort, etc.) permettent d'explorer à la fois la dimension sociale du sensible et la dimension sensible du social.
Pour la période contemporaine, le corps physique est également au cœur des événements sportifs naissants étudiés par Sylvain Ville. Ce dernier poursuit son analyse de la genèse du spectacle sportif en France (et en Angleterre) entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Considérant que le « spectacle sportif » se constitue comme un genre original, combinant mise en scène des spectacles et réglementation sportive, il entend étudier les ressorts de son succès. Pour ce faire, une analyse des promoteurs des spectacles sportifs (organisateurs d’événements, dirigeants d’organisations ou journalistes) et une étude de l’avènement des célébrités sportives sont en cours. En outre, le pratiquant d’un sport n’étant pas le seul à mettre en jeu et en scène son corps, Sylvain Ville poursuit également son étude des publics sportifs et de la codification des premières attitudes spectatoriales. Enfin, parce que le patronat a participé activement au développement du sport et du spectacle sportif, Sylvain Ville a constitué, depuis 2022, un groupe de recherche mêlant spécialistes du sport et du patronat et visant à éclairer le rôle joué par les patrons dans le développement et la structuration des pratiques sportives en France depuis 1880. Un projet ANR sur ce sujet a été déposé en 2023.

Famille : identités et transmissions

La famille est un des corps sociaux fondamentaux de la société occidentale à l’époque moderne et contemporaine et elle constitue, depuis longtemps, un thème de recherche privilégié de nombreux chercheurs du CHSSC. Dans une approche pluridisciplinaire, les travaux actuels abordent principalement la famille par l’étude de l’évolution des rôles familiaux dans une perspective de genre et sous l’angle des transmissions intra-familiales.
Ainsi, une recherche, menée par Emmanuelle Berthiaud et Isaure Boitel, est en cours sur l’histoire des pères et de la paternité de la Renaissance à nos jours. Elle a fait l’objet d’un premier colloque à Amiens, en 2022, dont les actes seront prochainement publiés aux Presses du Septentrion, et a pour objectif d’éclairer les profondes mutations de la figure paternelle au cours des derniers siècles. À la croisée de l’histoire, de l’histoire de l’art et des sciences sociales, l’ambition de ce volume est de proposer une histoire plurielle sur le temps long de la paternité en Europe dans ses manifestations aussi bien publiques que privées. Les relations des pères à la cité et au politique, ainsi que la place de la paternité dans la construction de la masculinité sont particulièrement explorées, tout comme l’investissement paternel, perceptible à travers les activités du quotidien et l’expression des sentiments.
Un autre ensemble de travaux, initié par Malika Bennabi, est porté par le triptyque identités-acculturation-transmission familiale. L’approche choisie met en perspective l’histoire de l’immigration et l’évolution des recherches consacrées aux expressions identitaires. L’une des focales s’inscrit dans le champ de la clinique. Elle observe les transmissions familiales en lien avec les modalités de parentalité (en collaboration avec l’Inserm U1178, CESP et l’Hôpital Cochin). L’autre focale se tourne vers les positions identitaires selon les contextes de socialisation. Au sein du CHSSC, les travaux (dont des thèses dirigées par Malika Bennabi) étudient les processus d’identisation chez les enfants d’immigrés originaires du Maghreb. Ils mettent en évidence des mouvements identitaires se répartissant entre exigence de conformation et possibilité de contradiction, entre transmission intégrale et adaptation-intégration, selon des modalités complexes, qui connotent la recherche active d'une nécessaire cohérence subjective. Le fait le plus saillant est le constat d’affirmations identitaires ouvertes sur une dimension transnationale, que l’étude a pris le parti d’interroger dans un axe consacré à l’analyse des phénomènes religieux. Cet axe, à la fois clinique et anthropologique, vise la restitution de la multiplicité de facteurs sociaux et psychiques qui engendrent des apories et exposent aux risques de radicalisation, sur fond idéologique de nature néo-religieuse. Le cadre de la recherche est une mission d’expertise appuyée sur une consultation psychologique transculturelle financée par un Conseil général dans un quartier dit « sensible » de la région parisienne.

Violences et régulation sociale

Une troisième dimension de l’axe 2 est constituée par l’histoire des violences, tant individuelles que collectives, publiques que privées, pensées dans leur matérialité comme dans leurs représentations.
À la croisée de l’histoire sociale et culturelle, d’une part, et de l’histoire institutionnelle et politique d’autre part, il s’agit d’analyser les mécanismes, judiciaires et parajudiciaires, de régulation sociale et d’amortissement de la violence, déployés au sein des sociétés, notamment l’exercice des fonctions essentielles de la justice et de police, qui ont fait l’objet d’un important renouvellement historiographique ces vingt dernières années.
Une recherche, menée par Olivia Carpi, porte en particulier sur les stratégies de pacification mises en œuvre conjointement par les autorités publiques, royales et municipales, dans les collectivités urbaines, pendant et au lendemain des guerres de Religion de la deuxième moitié du XVIe siècle. L’étude, portant sur plusieurs villes de la moitié nord de la France, se propose en effet de comprendre les conditions de surgissement et d’évitement de la violence dans l’espace public urbain, y compris la violence extrême, mais aussi de questionner la notion de persécution, volontiers employée pour désigner ce qui relève, en fait, de dispositifs publics de sécurisation, en se penchant sur le traitement réservé par les autorités aux protestants locaux au cours des premières guerres de Religion.
Les travaux de Marie Houllemare, membre du CHSSC jusqu’à son élection comme professeur ordinaire à l’Université de Genève en 2021, portent sur les questions de justice et de régulation de la violence à l’époque moderne. Ainsi, le livre collectif qu’elle a dirigé avec Erica Charters et Peter H. Wilson, intitulé A Global History of Early Modern Violence (Manchester University Press, 2020) est une analyse approfondie de la violence à grande échelle et des méthodes utilisées pour la contenir au début de l’époque moderne. À l’aide d’exemples venus d’Asie, d’Afrique, des Amériques et d’Europe, le livre remet en question le discours établi selon lequel la violence n’a été freinée que par la montée d’États-nations et de sociétés civiles de type occidental. Cette histoire mondiale questionne ainsi les modèles traditionnels de l’histoire de la violence et repense les catégories et les unités d’analyse par le biais de comparaisons.
Une autre enquête, menée par Hervé Bennezon, membre associé du CHSSC, aborde la question de l’intensité de la violence dans les relations sociales aux XVIIe et XVIIIe siècles. L’analyse sérielle des liasses déposées aux Archives départementales de la Somme permet une meilleure appréhension de la thématique à l’échelle de deux vastes circonscriptions judiciaires picardes, que sont les bailliages d’Amiens et de Montdidier. Afin de lever le voile sur une population rurale relativement méconnue, un large éventail de parcours communautaires et individuels fait l’objet d’une recherche historique « vue d’en bas ». L’ensemble est présenté dans un ouvrage publié en 2023, Misère et violence en Picardie (1589-1789), deux siècles de confrontations sociales (éd. Les Indes Savantes).
Un projet de recherche, lancé par Marion Trévisi, dans le prolongement de son Habilitation à Diriger des Recherche et étroitement connecté à l’axe 3, s’intéresse aux violences sexuelles envers les femmes imposées par les armées aux civiles. Théoriquement interdites par le droit de la guerre, elles prennent différentes formes selon les contextes particuliers des campagnes (guerres de conquête, guérilla...). Les soldats de la Grande armée de Napoléon en ont témoigné sans tabou dans leurs récits et mémoires de guerre et leur banalisation semble faire mentir les directives de l’administration militaire. Il s’agit d’étudier la régulation (ou son absence) de ces violences par l’armée française en campagne. Une autre violence de guerre est explorée, celle des corps blessés par les guerres, notamment celui des femmes lors des campagnes révolutionnaires et napoléoniennes. À partir des dossiers de demande de pension conservés au Service Historique de la Défense et des récits de soldats, hommes comme femmes, il s’agira de spécifier ces blessures féminines, signes d’un engagement au combat peu connu.

Pouvoirs et sociétés

Une quatrième perspective interroge l’exercice du pouvoir au quotidien, tant sur le plan des institutions que des réseaux ou des individus, et sa représentation.
Des études sont menées sur des dirigeants de la France du XXe siècle, en lien avec le renouvellement de l’histoire politique. Ainsi, David Bellamy a entamé une nouvelle recherche, consacrée à René Coty (1882-1962). L’ouverture d’archives nouvelles, déposées par sa famille aux Archives nationales, permet de mettre en valeur le thème central de son activité de parlementaire des Troisième et Quatrième Républiques : la réforme de l’État. Dès le début des années 1920, en effet, Coty fait partie de ces élites du corps politique qui souhaitent rééquilibrer la relation entre législatif et exécutif. Député puis sénateur dans les années 1920 et 30, il prend de nombreuses initiatives à cette fin. Il poursuit son objectif pendant l’Occupation, au sein d’un groupe de sénateurs qui préparent la reconstruction politique du pays. Dans celle-ci, il prend une part remarquée, même si cela ne lui permet pas de faire triompher ses vues en 1946. La manière dont, une fois élu à la présidence de la République, il agit pour accéder à cet objectif, révèle sa capacité à aboutir à une action efficiente, tout en respectant le cadre institutionnel contraint qui était le sien. Son rapport au corps politique, en raison de l’estime du groupe des élus et de sa grande popularité parmi les Français, est un des leviers de sa réussite.
Les relations entre un homme d’État et une partie du corps politique sont également au cœur du travail d’Antoine Fournier. Sa thèse en cours, dirigée par Philippe Nivet et David Bellamy, est en effet consacrée aux rapports entre le général de Gaulle (1890-1970) et le monde ouvrier. Elle appelle à étudier l’évolution des idées du général de Gaulle concernant les ouvriers, la politique sociale menée lorsqu’il était au pouvoir, en lien avec les organisations ouvrières, ainsi que la réception de cette politique.
Membre du conseil scientifique de l’Institut Georges-Pompidou, Philippe Nivet poursuit les travaux menés sur le successeur du général de Gaulle, en particulier par sa participation à l’ouvrage Dans l’intimité du pouvoir de la présidence de Georges Pompidou (Nouveau monde éditions, 2019) et par son rôle dans les actions menées dans la perspective de la célébration des cinquante ans de son décès (organisation du colloque tenu le 14 mars 2024 ; contribution au Dictionnaire Pompidou dirigé par Olivier Sibre et Christine Manigand, Robert Laffont, 2024 ; préparation avec Bruno Poucet, professeur émérite de l’Université de Picardie, d’un ouvrage sur Georges Pompidou et l’éducation, Peter Lang, prévu en 2024).
Des recherches ont également été consacrées aux chefs de gouvernement, en particulier via la participation de David Bellamy à un ouvrage sur l’Hôtel de Matignon (Paris, La Documentation française, 2018).
Les chercheurs du CHSSC s’intéressent également au pouvoir législatif et aux parlementaires. David Bellamy est un membre actif du Comité d’histoire politique et parlementaire et a dirigé, en 2017, un colloque sur un important parlementaire de la Somme, Max Lejeune. La publication, par Philippe Nivet, du journal de guerre du député de Paris Henri Galli a contribué à une meilleure connaissance de l’histoire du Parlement entre 1914 et 1918, ainsi que des relations entre la sphère politique et la sphère militaire.
L’intérêt est également porté aux entourages et aux réseaux, comme le montrent les travaux d’Emmanuel Lemée. Au sein de l’espace britannique du XVIIe siècle, son projet de recherche étudie les liens entre les individus évoluant autour du pouvoir, en cherchant à faire émerger, derrière les figures de proue bien connues que sont les grands favoris royaux de l’ère Stuart (tels Robert Carr, George Villiers ou encore Edward Hyde), les clientèles et les réseaux qui structurent le corps politique et l’unissent au corps social. Des corps transitoires se constituent, naissant et disparaissant au rythme des ascensions et des chutes et qui contribuent, par leurs évolutions, aux transformations politiques et à leur diffusion dans l’ensemble de la société britannique. Ce projet analyse également la dimension concrète des relations de pouvoir ainsi créées, en s’interrogeant sur la manière dont contribue chacun de ces individus au corps qu’ils forment ensemble, à proportion de leurs moyens, du service ponctuel comme le port de message ou l’accomplissement d’une tâche pratique, aux fonctions de fond comme le lobbying, le conseil ou la veille informationnelle.
Le CHSSC a participé également au renouveau de l’histoire diplomatique. Pour l’époque moderne, les recherches de Camille Desenclos se concentrent sur les institutions et pratiques de la diplomatie française de la première modernité. Partant du constat que l’exercice diplomatique préexiste à la naissance des institutions le structurant, il s’agit de mettre en valeur les logiques socio-politiques, mais aussi socio-culturelles conduisant à l’émergence d’un corps d’État, dont les pratiques politiques, scripturales, mais aussi archivistiques rappellent leur appartenance à un corps politique (secrétariat d’État, réseau de représentations permanentes), au sein duquel affaires intérieures et extérieures continuent de s’entremêler. Pour ce faire, le Saint-Empire, territoire aux souverainetés, confessions et alliances multiples, constitue le principal terrain d’observation. Un travail est par ailleurs mené sur les modalités de protection de l’information (diplomatique, politique ou militaire) et, plus largement, sur l’histoire de la cryptographie (XVIe-XVIIe siècles), créant ainsi des synergies avec l’axe 3 « Conflits ». Un colloque « Entre France et Allemagne, théorie et pratique cryptographiques (1300-1800) » a notamment été organisé à Heidelberg en avril 2024.
Ce sous-axe s’intéresse également à la manière dont le pouvoir s’incarne et dont les peuples s’imaginent faire corps. Le projet de recherche que mène Isaure Boitel s’insère dans cette thématique. Intitulé : « Donner corps aux éthnotypes. Images et imaginaires croisés : France, Espagne, îles Britanniques, Provinces-Unies (XVIe-XVIIIe siècles) », il propose d’adopter une démarche comparative afin d’examiner comment s’imposent certains stéréotypes nationaux, véhiculés par un ensemble d’images imprimées. Plus précisément, ce travail consiste à étudier la figuration simplifiée de l’étranger, mais aussi de soi en tant que communauté, à saisir comment émergent des physiques éthnotypés, censés révélés des traits de caractère, à comprendre les ressorts idéologiques et esthétiques qui favorisent l’apparition d’un genre particulier de stéréotypes, à mesurer leur succès à l’aune de leur diffusion, puis à estimer leur réception en fonction des temps et des espaces. En reconstituant la généalogie et en évaluant la fortune de ces représentations, il s’agit d’appréhender une culture visuelle commune, partagée par différentes strates sociales au sein d’une même nation – et parfois au-delà –, et sur laquelle se fonde un sentiment identitaire.

Habiter, habitants

Considéré comme dimension géographique de l’expérience humaine, le concept d'habiter, réactualisé depuis le début des années 2000, ouvre à une approche pluridisciplinaire (anthropologique, géographique, historique, psychologique, etc.) de la manière dont les êtres humains, collectivement et singulièrement, habitent les lieux et territoires du Monde et comment, réciproquement, ils sont habités par eux. Ce faisant, ils les construisent en fonction de leurs projets, de leurs besoins, de leurs désirs. Cette dynamique ne trouve sa pleine portée qu’en la considérant du point de vue pragmatique, celui des pratiques, et phénoménologique, celui des représentations. L’habiter est donc à la fois un concept compréhensif et heuristique. Aborder par leur dimension géographique les sociétés humaines d’hier et d’aujourd’hui, c’est explorer une voie pour saisir leurs fonctionnements et leurs dynamiques. Dans ce sous axe, deux thématiques sont privilégiées.
 
Habiter des espaces singuliers

L’intérêt pour la dimension spatiale des sociétés et l’expérience sensible des lieux est récurrent dans les travaux de nombreux chercheurs du CHSSC. La manière d’habiter certains espaces particuliers a fait l’objet d’une réflexion spécifique, comme les espaces maritimes, objet du colloque de la SFR « Territoires historiques » : Les espaces maritimes : continuités et discontinuités (Amiens, UPJV, 2021), auxquels ont contribué de nombreux chercheurs du Centre. Les conflits, notamment la guerre de 1870-1871 et la Première Guerre mondiale, sont également abordés au prisme de l’espace, donnant lieux à des recherches passées et en cours sur les champs de bataille (X. Boniface), les voyages sur les lieux de guerre (P. Nivet, C. Vidal-Naquet), les espaces ruraux ou les villes en temps de guerre (E. Cronier, M. Pignot, P. Nivet, O. Carpi).
 
Les habitants au prisme de leurs mobilités récréatives

À partir du concept d'habiter, Olivier Lazzarotti, Benjamin Taunay et Anne Gaugue s'attachent aux habitants, c'est-à-dire aux hommes et aux femmes considérés dans et par leur dimension géographique. Cette analyse a fait l’objet des journées du Géopoint 2022, « Tous habitants ? », organisées par le CHSSC à l’Université de Picardie et dont les actes sont en cours de publication dans la revue EspacesTemps.net. Cette thématique prolongeait le colloque « Cartes d’identités », organisé à Cerisy en 2017, tout comme les travaux d’Olivier Lazzarotti consacrés à deux habitants « remarquables », Franz Schubert (2017) et Johnny Hallyday (2018), plus spécifiquement à l’occasion de son litige successoral, dont la dimension géographique était centrale.

Il s’agira, à l’avenir, de travailler la notion d’habitant en s’appuyant sur les mobilités touristiques pour la consolider dans sa double dimension. La première est existentielle : en quoi cette modalité d’habiter change-t-elle les habitants ? En quoi invite-t-elle à élargir les horizons de chacun et de chacune, comme pour ouvrir à la dimension mondiale, ce qui pourrait être considéré comme modalité d’émancipation, d’arrachement aux lieux et aux assignations, les mobilités touristiques participant à la multi-territorialité des habitants. Cette thématique est abordée par les travaux d'Anne Gaugue, dans le prolongement de son HDR soutenue au CHSSC (Les plaisanciers au long cours, des habitants de la mer, 2020). La seconde est politique : bien que cette lecture soit très rare dans la littérature scientifique, les sociétés touristiques reposent sur des codes politiques qui, tant bien que mal, constituent un modèle de cohabitation heureuse. Chacun et chacune, avec toutes ses différences, rencontrent, pacifiquement, les autres. L’enjeu des mobilités touristiques dépasse ainsi les modalités des joies des vacances, du repos, de la découverte, etc. Entre autres, mais toujours dans la même perspective politique, l’habiter touristique est pris dans une tension entre les libertés individuelles - le choix des lieux et des pratiques - et les résistances des pouvoirs en place, qui y voient toujours un risque de déstabilisation. D’où des stratégies, souvent subtiles, de « contrôle politique des mobilités » : comment bouger sans changer ? Cette question fait l’objet d’une attention toute particulière dans les travaux de Benjamin Taunay consacrés à la Chine, en particulier son HDR soutenue au CHSSC (Contrôler et normaliser l’habiter touristique : enjeux pour la projection de la Chine dans le Monde, 2022). Les travaux en cours s'appuient sur des cas chinois et européens, contemporains ou non.
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