Une quatrième perspective interroge l’exercice du pouvoir au quotidien, tant sur le plan des institutions que des réseaux ou des individus, et sa représentation.
Des études sont menées sur des dirigeants de la France du XXe siècle, en lien avec le renouvellement de l’histoire politique. Ainsi, David Bellamy a entamé une nouvelle recherche, consacrée à René Coty (1882-1962). L’ouverture d’archives nouvelles, déposées par sa famille aux Archives nationales, permet de mettre en valeur le thème central de son activité de parlementaire des Troisième et Quatrième Républiques : la réforme de l’État. Dès le début des années 1920, en effet, Coty fait partie de ces élites du corps politique qui souhaitent rééquilibrer la relation entre législatif et exécutif. Député puis sénateur dans les années 1920 et 30, il prend de nombreuses initiatives à cette fin. Il poursuit son objectif pendant l’Occupation, au sein d’un groupe de sénateurs qui préparent la reconstruction politique du pays. Dans celle-ci, il prend une part remarquée, même si cela ne lui permet pas de faire triompher ses vues en 1946. La manière dont, une fois élu à la présidence de la République, il agit pour accéder à cet objectif, révèle sa capacité à aboutir à une action efficiente, tout en respectant le cadre institutionnel contraint qui était le sien. Son rapport au corps politique, en raison de l’estime du groupe des élus et de sa grande popularité parmi les Français, est un des leviers de sa réussite.
Les relations entre un homme d’État et une partie du corps politique sont également au cœur du travail d’Antoine Fournier. Sa thèse en cours, dirigée par Philippe Nivet et David Bellamy, est en effet consacrée aux rapports entre le général de Gaulle (1890-1970) et le monde ouvrier. Elle appelle à étudier l’évolution des idées du général de Gaulle concernant les ouvriers, la politique sociale menée lorsqu’il était au pouvoir, en lien avec les organisations ouvrières, ainsi que la réception de cette politique.
Membre du conseil scientifique de l’Institut Georges-Pompidou, Philippe Nivet poursuit les travaux menés sur le successeur du général de Gaulle, en particulier par sa participation à l’ouvrage Dans l’intimité du pouvoir de la présidence de Georges Pompidou (Nouveau monde éditions, 2019) et par son rôle dans les actions menées dans la perspective de la célébration des cinquante ans de son décès (organisation du colloque tenu le 14 mars 2024 ; contribution au Dictionnaire Pompidou dirigé par Olivier Sibre et Christine Manigand, Robert Laffont, 2024 ; préparation avec Bruno Poucet, professeur émérite de l’Université de Picardie, d’un ouvrage sur Georges Pompidou et l’éducation, Peter Lang, prévu en 2024).
Des recherches ont également été consacrées aux chefs de gouvernement, en particulier via la participation de David Bellamy à un ouvrage sur l’Hôtel de Matignon (Paris, La Documentation française, 2018).
Les chercheurs du CHSSC s’intéressent également au pouvoir législatif et aux parlementaires. David Bellamy est un membre actif du Comité d’histoire politique et parlementaire et a dirigé, en 2017, un colloque sur un important parlementaire de la Somme, Max Lejeune. La publication, par Philippe Nivet, du journal de guerre du député de Paris Henri Galli a contribué à une meilleure connaissance de l’histoire du Parlement entre 1914 et 1918, ainsi que des relations entre la sphère politique et la sphère militaire.
L’intérêt est également porté aux entourages et aux réseaux, comme le montrent les travaux d’Emmanuel Lemée. Au sein de l’espace britannique du XVIIe siècle, son projet de recherche étudie les liens entre les individus évoluant autour du pouvoir, en cherchant à faire émerger, derrière les figures de proue bien connues que sont les grands favoris royaux de l’ère Stuart (tels Robert Carr, George Villiers ou encore Edward Hyde), les clientèles et les réseaux qui structurent le corps politique et l’unissent au corps social. Des corps transitoires se constituent, naissant et disparaissant au rythme des ascensions et des chutes et qui contribuent, par leurs évolutions, aux transformations politiques et à leur diffusion dans l’ensemble de la société britannique. Ce projet analyse également la dimension concrète des relations de pouvoir ainsi créées, en s’interrogeant sur la manière dont contribue chacun de ces individus au corps qu’ils forment ensemble, à proportion de leurs moyens, du service ponctuel comme le port de message ou l’accomplissement d’une tâche pratique, aux fonctions de fond comme le lobbying, le conseil ou la veille informationnelle.
Le CHSSC a participé également au renouveau de l’histoire diplomatique. Pour l’époque moderne, les recherches de Camille Desenclos se concentrent sur les institutions et pratiques de la diplomatie française de la première modernité. Partant du constat que l’exercice diplomatique préexiste à la naissance des institutions le structurant, il s’agit de mettre en valeur les logiques socio-politiques, mais aussi socio-culturelles conduisant à l’émergence d’un corps d’État, dont les pratiques politiques, scripturales, mais aussi archivistiques rappellent leur appartenance à un corps politique (secrétariat d’État, réseau de représentations permanentes), au sein duquel affaires intérieures et extérieures continuent de s’entremêler. Pour ce faire, le Saint-Empire, territoire aux souverainetés, confessions et alliances multiples, constitue le principal terrain d’observation. Un travail est par ailleurs mené sur les modalités de protection de l’information (diplomatique, politique ou militaire) et, plus largement, sur l’histoire de la cryptographie (XVIe-XVIIe siècles), créant ainsi des synergies avec l’axe 3 « Conflits ». Un colloque « Entre France et Allemagne, théorie et pratique cryptographiques (1300-1800) » a notamment été organisé à Heidelberg en avril 2024.
Ce sous-axe s’intéresse également à la manière dont le pouvoir s’incarne et dont les peuples s’imaginent faire corps. Le projet de recherche que mène Isaure Boitel s’insère dans cette thématique. Intitulé : « Donner corps aux éthnotypes. Images et imaginaires croisés : France, Espagne, îles Britanniques, Provinces-Unies (XVIe-XVIIIe siècles) », il propose d’adopter une démarche comparative afin d’examiner comment s’imposent certains stéréotypes nationaux, véhiculés par un ensemble d’images imprimées. Plus précisément, ce travail consiste à étudier la figuration simplifiée de l’étranger, mais aussi de soi en tant que communauté, à saisir comment émergent des physiques éthnotypés, censés révélés des traits de caractère, à comprendre les ressorts idéologiques et esthétiques qui favorisent l’apparition d’un genre particulier de stéréotypes, à mesurer leur succès à l’aune de leur diffusion, puis à estimer leur réception en fonction des temps et des espaces. En reconstituant la généalogie et en évaluant la fortune de ces représentations, il s’agit d’appréhender une culture visuelle commune, partagée par différentes strates sociales au sein d’une même nation – et parfois au-delà –, et sur laquelle se fonde un sentiment identitaire.